It's time to move on | Cyril ft. Adriane

J'envoie quelques coups dans le sac de boxe. Je sens la douleur irradier dans mon bras à peine remis. Je serre les dents et renvoie de nouveaux coups. Il faut que je dépasse ça. Je suis presque entièrement remise. Je n'ai pas mal. Je suis plus forte que ça. J'envoie un uppercut gauche, enchaînant avec un droit. Je grimace de douleur et entends alors des pas derrière moi.

Je me retourne et vois un jeune Résistant. Je lui lance un regard hautain. Tout plutôt que de montrer ma douleur. J'attrape ma bouteille d'eau, en avale quelques gorgées avant de m'asperger le visage. Je rattache mes cheveux, m'éponge avec ma serviette puis pars de la salle, sans un regard pour le jeune. Certes, je devrais être plus sympathique. Je suis censée entraîner les nouveaux. Mais depuis l'attaque, je n'y arrive plus. Je ne suis plus capable de mettre tout le monde au tapis et ça me soucie. Je n'en ai plus envie. Je veux juste anéantir mon père. Ceux comme lui. Et ceux qui, pour le défendre, ont tué tant d'entre nous.

Une fois dans le couloir en-dehors de la salle, je m'adosse au mur et ferme les yeux. Sans y penser, je me masse mon bras endolori. Il récupère vite mais pas assez à mon goût. Il faudra encore quelques semaines avant que je ne retrouve un semblant de mes capacités. Quelques mois et ce serait comme si rien ne s'était passé. Physiquement en tous cas.

Je rouvre les yeux. Et je vois une jeune fille se tenir devant moi, timide. Je hausse un sourcil.

"Oui ?"

Elle bégaye. Elle a l'air d'avoir peur de moi. Je ne peux réprimer un sourire, tentant de la mettre à l'aise. Je n'ai jamais vraiment fait peur. Je déteste ça. Je ne suis pas comme mon père. Je ne veux pas l'être. Et j'ai soudain envie d'aller m'excuser auprès du jeune homme dans la salle derrière la porte à côté de nous.

"Tu... tu es demandée à... la salle du conseil."

Je lui adresse un nouveau sourire et hoche la tête avant de tourner les talons. Que peut bien me vouloir Cyril ? Je me dirige vers les escaliers plutôt que l'ascenseur. Je dois faire travailler mes muscles, ils doivent se remettre même s'il y a encore peu, mes béquilles étaient presque mes meilleures amies.

J'arrive enfin à l'étage de la salle du conseil. Je prends une grande inspiration et entre dans le bureau de Cyril. Il est assis derrière. J'avance, restant debout. Les dernières fois que j'étais venue, c'était pour mettre au point des plans de bataille. Encore avant, c'était pour me faire disputer pour je-ne-sais-quelle bêtise. On en avait parcouru du chemin.

Je posais mes mains sur le dossier de la chaise face à son bureau.

"Tu voulais me voir ?"

"En effet. Installe-toi, il vaut mieux que tu sois assise pour ce que je vais te dire... Mais avant, comment tu te sens ?"

Il m'adresse un sourire que je lui retourne, machinalement. C'est facile, ici, de sourire. J'ai du mal, hors de la Résistance. Mais ici, je peux me laisser aller. Si ma seule famille pendant longtemps avait été la Colonie, je peux dire sans honte que j'en ai gagné une nouvelle à la Résistance. Même ceux qui me détestent et que je ne porte pas particulièrement dans mon coeur. Même Pandore, par exemple. Jamais je ne les trahirai. Ils sont ma famille et en famille, on est loyal. Une leçon qui aurait fait du bien à mon père... Peut-être devrais-je la lui administrer.

Je m'assieds dans le fauteuil face au bureau de Cyril. Il a l'air fatigué. On le serait pour moins. Il a la Résistance à gérer avec son lot de problèmes, d'insubordination. Même avec moi, Matthew, Alice ou Pandore qui essayons de faire régner l'ordre, il est difficile de faire marcher tout le monde droit. La Résistance manque de discipline. Dès que ce ne sera plus le cas, nous pourrons attaquer l'Olympe, pas avant.

Mais il faut dire que depuis l'attaque, l'attentat, Cyril a l'air encore plus bas que d'habitude. Il s'inquiète, je le vois bien. Et je ne peux rien y faire, toute occupée que je suis à chercher comment anéantir ce groupuscule qui nous a attaqué. Occupée à me reconstruire sur des bases assez stables pour ne pas flancher au premier obstacle. Mais ça, je ne vais pas lui dire.

"Ça va, je n'ai presque plus mal et je peux de nouveau m'entraîner. En revanche, toi tu as l'air fatigué ? Tu as besoin de repos, tu sais. Tu n'es pas un surhomme."

Ou un Dieu, me retins-je d'ajouter. Mais ça aurait été de mauvais goût. Et son air, bien que doux, était grave. Quelque chose se préparait... Non. IL préparait quelque chose. Et j'avais dans l'idée que je serais bientôt au courant. Je croisais les jambes et le regardais, attendant qu'il se décide à me dire de quoi il s'agissait.

"Content de voir que tu vas mieux. Quant à ma fatigue apparente... C'est en partie pour ça que tu es là. Voire même en grande partie."

Je lui adresse un regard interrogateur. Je n'étais pas médecin ni fille d'un Dieu en lien avec la médecine et il le savait très bien. Alors à moins qu'il voulait que je mette un terme définitif à ses souffrances... Et même là, il savait très bien que je ne lui servirai à rien. J'aurais bien été incapable de lui faire du mal. Si au départ je n'avais pas apprécié sa méfiance envers moi, j'en étais venue à réellement l'apprécier. Comme un membre de ma famille.

Sa main toujours sur mon épaule, comme une présence rassurante, il finit par reprendre la parole et enfin dévoiler ce qu'il avait imaginé :

"Je crois qu'il vaut mieux que je passe la main. Avec Matthew et Pandore, tu me facilites la tâche, et je t'en suis sincèrement reconnaissant, mais je ne pense plus pouvoir diriger efficacement la Résistance. Je ne suis pas un leader né, et tu l'as dit toi-même, je ne suis pas un surhomme, je connais mes limites. Et je les ai atteintes trop rapidement à mon goût."

Je tournais lentement la tête vers lui. J'avais l'impression de rêver. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire. Ou je ne voulais pas comprendre plutôt. Je n'arrivais pas à imaginer qu'il était sérieux. Je m'attendais presque à voir surgir les autres de sous le bureau, se moquant de moi pour avoir cru qu'il était possible que Cyril veuille abandonner son rôle de chef et me le confier. A moi et à d'autres.

C'était invraisemblable. Tout bonnement invraisemblable. Pourquoi diable m'aurait-il choisi moi ? Il y avait bien mieux ! Certes, j'étais là depuis longtemps et je me débrouillais pour mener les troupes au combat mais gérer tout ça ? Les trois-quarts du temps, je n'étais pas d'accord avec le reste de la Résistance qui se voyait piétiner la Colonie en même temps que les Dieux. Comment pourrais-je gérer ceux qui veulent détruire ma première maison, mon premier chez moi ?

J'entendis alors Cyril continuer :

"Mais je sais qu'à vous trois, vous y arriverez mieux que moi seul. Je resterai à la Résistance, parce que c'est la voie que j'ai choisi, mais je ne suis plus en capacité de diriger quoi que ce soit. A la rigueur, conseiller, mais ce sera tout. J'ai attendu que vous alliez mieux pour beaucoup d'entre vous, pour retarder l'échéance, mais maintenant... C'est à toi de jouer."

Je déglutis péniblement, mon cerveau essayant d'assimiler tout ce qu'il venait de me dire. J'avais la bouche pâteuse, les sons autour de moi étaient assourdis, comme si je me réveillais d'un mauvais rêve. Je n'arrivais à me concentrer sur rien à part une chose : moi, Matthew et Pandore. Pandore. Ca allait tourner au bain de sang. Comment pouvions-nous diriger quoi que ce soit ou qui que ce soit ensemble ? Qu'il veuille me confier la Résistance, c'était assez ridicule comme ça mais à nous trois ?

Un rire m'échappa.

"Ahah. Très drôle. Parce que tu nous vois, nous, comme chefs ? Et ensemble en plus ? Ca va finir en carnage. Pandore me déteste et entre elle et Matthew, ce n'est franchement pas tout rose..."

Je m'arrêtais et le fixais. Il était toujours aussi sérieux. Et plus les secondes défilaient, plus je doutais qu'il soit en train de me faire une blague. Ce qu'il avait dit, il le pensait. Petit à petit, mon cerveau commençait enfin à comprendre et à intégrer tout ce que cela signifiait.

"Sois réaliste Cyril, je peux mener les troupes mais diriger la Résistance ? Même avec d'autres... Beaucoup ne me trouveront pas assez radicale et tu le sais. Alors... Tu ne crois pas que tu fais le mauvais choix ?"

Parce que pour moi, ça m'avait tout l'air d'être le pire choix possible. Pour la Résistance. Pour lui. Pour moi. Pour tout le monde. Nous courrions à la catastrophe.